Qui a dit que les personnes en pertes cognitives n'ont connaissance de rien ?
Mon père est au centre depuis quelques mois, très doux, aimant tout le monde, reconnaissant des soins apportés par le personnel. Jasant comme il le peut avec les autres usagers, souriant la plupart du temps. Il est arrivé debout, puis ce fut la marchette, puis la chaise roulante. Mais, étonnamment, cette dernière lui redonne une forme d'autonomie puisqu'il peut se promener partout. Bien sûr, il rêve de revenir à la maison, mais ce n'est plus possible.
Soeur aînée a pris soin de bien décorer sa chambre avec de beaux tableaux, des portraits, son diplôme, quelques meubles de la maison. Comme si tout son univers était rassemblé dans cette pièce. Tous ceux qu'il a particulièrement aimés. C'est rassurant pour lui... et moins déprimant pour nous. Ce sont aussi des sujets de discussion... et il y a beaucoup d'amour.
Nous visitons régulièrement notre papa. Et de ce fait, nous connaissons un peu ses co-locataires, pour la plupart eux aussi en pertes cognitives. Nous chantons avec eux. Comme dit Héléna : « C'est du bonheur! ». C'est beau et étonnant de voir que ces personnes qui oublient parfois le nom de leurs parents, se rappellent les paroles des chansons. C'est comme une grande famille... incluant le personnel.
L'une des voisines de cet étage, petite Madame Denise, aime bien venir dans sa chambre pour le visiter. Mais, dans ce dernier soir de la vie de mon père, elle y entre le regard triste où je lis l'inquiétude. Elle ne comprend pas pourquoi il ne sort plus, pourquoi il est au lit depuis une semaine. Le préposé se prépare à la sortir pour me laisser le veiller tranquille, mais je comprends l'importance de lui laisser aussi un moment avec mon père. Je fais donc signe au préposé que c'est correct et j'invite cette amie à s'assoir. Je n'ai pas connu Madame Denise en dehors de ce centre. Je l'aime bien. Elle est douce et gentille. Triste aussi. Elle s'est assise un bout de temps. Puis elle a regardé mon père en demandant : « Quand est-ce qui va se lever ? » Enfin, après un moment, elle s'est levée, lourdement, et elle est sortie.
L'expérience-papa a été difficile bien des fois, mais j'ai tellement appris. J'ai rencontré plein de gens et un univers que je n'aurais pas connu autrement, celui de proche aidant. Mais aussi celui des préposés, du personnel infirmier, des autres résidents et leurs familles. Nous avons chanté et dansé ensemble. Nous avons égrené le temps ensemble. Nous avons aimé les nôtres ensemble.
Les personnes en pertes cognitives ont perdu bien des choses... mais elles connaissent leur bonheur. Il est dans l'amour.